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Derrière la beauté, l’urgence

Interview de Franck Vogel, photographe,  journaliste et réalisateur

Ingénieur agronome de formation, Franck Vogel s’est dirigé vers la photographie après un voyage à travers le monde qui a changé sa vie. Aujourd’hui photographe, il part à la rencontre des fleuves et de leurs populations et retranscrit  leurs problématiques en apportant son regard. Interview de l’auteur de l’ouvrage Fleuves Frontières.

 

Pourquoi photographier les fleuves ?

J’ai grandi dans la campagne alsacienne. Issu d’une famille de viticulteurs j’ai eu conscience, tout petit déjà, de l’importance de l’eau quand il ne pleut pas. J’ai très vite compris qu’elle était essentielle à la vie. Après des études à Paris et un premier poste de consultant, j’ai changé de vie : je suis allé en Afrique de l’est, en Inde, au Népal et en Asie du Sud-est. Là-bas j’ai redécouvert cet enjeu de la ressource, à quel point elle était primordiale à la survie d’une famille ou à la prospérité économique d’un pays. En 2011, on m’a parlé du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser aux fleuves, à leur géopolitique. Trois mois durant j’ai travaillé sur le Nil, puis sur d’autres fleuves à travers le monde confrontés à des enjeux différents (pollution, surexploitation, blocage des sédiments, accès impossible au fleuve pour certaines populations…). Je me devais de partager et d’expliquer tout cela avec le grand public afin qu’il se rende compte de la réalité, souvent dramatique, des choses.

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

J’essaie de placer l’humain au cœur des images, de chercher le lien entre l’homme et les fleuves. Le fleuve sert à s’hydrater, se déplacer…c’est la vie. Je ne montre pas que la misère. Le fleuve Colorado, par exemple, est à sec, n’atteignant plus la mer. Lorsqu’on est en altitude on se rend compte que c’est très beau, un peu comme les racines d’un arbre. Quand on lit la légende de la photo, on réalise l’urgence. L’idée est de transmettre des messages simples, tout en interpellant par la beauté des choses.

On parle de raréfaction de l’eau, de pollution plastique dans les fleuves et océans… Est-ce une réalité que vous avez eue à affronter ?

Chaque fleuve a sa problématique. Sur le Nil, la première guerre de l’eau a déjà eu lieu. L’impact du barrage éthiopien est fort : l’Égypte va perdre pendant 10 ans entre 10 et 25 % d’eau. Le Gange, est quant à lui l’un des fleuves les plus pollués au monde, on y déverse les produits chimiques, les égouts et les corps des défunts. Il est pourtant l’un des plus sacrés, considéré comme la mère des hindous. Les populations s’y baignent, boivent son eau dans le but de guérir. Et pour cause, l’eau du Gange est atypique : elle s’écoule, à la source, à travers un permafrost libérant des bactériophages préhistoriques tueuses de bactéries. Elle est également celle qui contient le plus d’oxygène dissous au monde. Grâce à ces propriétés, et malgré la pollution, la vie peut continuer.

La solution serait-elle une meilleure sensibilisation à l’impact de la pollution sur la santé ?

C’est plus compliqué qu’il n’y parait. Il y a 20 ans, en France, on jetait nos déchets par la fenêtre de la voiture. C’est ce qu’il se passe actuellement dans les pays pauvres, difficile alors de leur faire la morale. En Albanie, il n’y a aucun respect de l’environnement et du littoral. Tout simplement parce qu’il n’y a aucune conscience des conséquences. En Afrique, c’est parfois une histoire de culture. J’ai un jour mangé une barre de céréales dans un village kenyan. Sans poubelle aux alentours, il m’a paru évident de conserver l’emballage plastique dans ma poche. Les gens ont été surpris de ma démarche et m’ont dit «  tu es si pauvre au point de le garder dans ta poche ? ».

Le mélange de la politique et de la santé complexifie également la situation, c’est une histoire d’argent. Le Nil, par exemple, est propre jusqu’au Caire où les industries égyptiennes, les mêmes qui gagnent les marchés de retraitement des eaux usées, le polluent. Ça coûte bien moins cher de décharger ses déchets dans le fleuve que de les traiter, vous comprenez… Cette eau désormais polluée poursuit ensuite sa course dans le Delta, et sert à arroser les tomates qui finiront dans l’assiette des Egyptiens. C’est dramatique d’être inconscient au point de s’auto-polluer.

Qu’est-ce qu’une association comme Initiatives pour l’avenir des grands fleuves (IAGF) peut apporter pour préserver les fleuves ?

L’objectif d’IAGF est de sensibiliser les populations et d’aider les différents acteurs à interagir et à communiquer. L’association a un rôle de médiateur. Son président, Erik Orsenna a une vraie passion pour l’eau. IAGF, par son approche pluridisciplinaire et ancrée dans les territoires, peut rassembler entreprises, gestionnaires, décideurs publics et entrepreneurs pour des solutions partagées. Pas seulement en leur disant « il faut faire ça », mais de manière intime, afin qu’ils se rendent compte des conséquences sur leur famille, leur quotidien. Ce qui arrive aux autres les touche eux aussi, indirectement.

Pour en savoir plus

Retrouvez Fleuves frontières de Franck Vogel lors d’une exposition au siège de l’Unesco, à Paris, du 15 octobre au 30 novembre.

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