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8e session internationale d’IAGF : un projet commun pour le fleuve Maroni

IAGF a tenu sa 8ème session internationale mi-avril en Guyane, invitée par l’Institut Pasteur à découvrir le fleuve Maroni à travers la thématique de la santé. Porteur de l’histoire de ce territoire ultra-marin, le Maroni soulève de nombreuses questions sur l’eau : son utilisation, sa qualité, ses représentations, sa gestion… sans doute avec plus d’intensité qu’ailleurs. Ce fleuve est déterminant pour l’avenir de ce territoire en transition démographique et écologique. Il peut aussi nous donner des leçons d’intelligence pour ailleurs, en appréhendant mieux l’interaction entre les Hommes et l’eau.

Un bassin de vie et de culture

Crédit photo : Ronan Liétar

Bassin de vie et de culture partagé entre le Suriname et la Guyane, le Maroni est tout sauf une frontière administrative. Passage et brassage de populations entre les deux rives et de l’intérieur vers le littoral, socle identitaire pour les nombreuses communautés qui vivent sur ces berges, source de richesse (pêche, or…) mais aussi vecteur de maladies et pollution, ce fleuve oblige à concevoir autrement notre rapport à la nature et à l’autre. Patrick Lecante, Président du Comité de l’Eau et de la Biodiversité de Guyane, maire de Montsinéry-Tonnégrande, l’a résumé ainsi en ouverture des travaux : « Il n’y a pas de frontière pour les richesses, mais pas de frontière non plus pour la pauvreté, pour les maladies, pour la misère humaine se traduisant par l’orpaillage illégal ou la prostitution contrainte. Pas de frontière quand nos fleuves sont pollués par la cupidité et les trafics. Pas de frontière quand nous devons sauver un blessé sur l’autre rive, parce que nous sommes humains avant tout. (…) En réalité, la frontière n’est pas une fermeture, elle est une ouverture sur le monde, sur l’autre, sur la différence. En aucun cas, nos frontières ne doivent être des fermetures. Nous devons nous protéger, certes. Mais nous devons aussi mieux nous connaître de chaque côté des deux rives. C’est ce difficile équilibre qui doit être trouvé sur le Maroni » .

Crédit photo : Ronan Liétar

En abordant le fleuve par le prisme de la santé, IAGF a apporté un éclairage nouveau sur cette réalité complexe, au croisement du politique, de l’économique, du social et de l’environnement. Si nos fleuves sont menacés, c’est notre identité qui est niée, c’est notre vie même qui est remise cause. Comme l’a relevé Paul Brousse, Médecin coordonnateur des Centres Délocalisés de Prévention et de Soins au Centre Hospitalier de Cayenne, « le fleuve Maroni est blessé mais il n’est pas encore malade, contrairement aux populations riveraines cumulant des vulnérabilités qui les fragilisent dans un contexte de mutation sociétale et de transition démographique. Pour l’aider à se défendre, préserver l’héritage qu’il représente, il faut agir maintenant et anticiper les bouleversements des équilibres écosystémiques environnementaux et socioculturels ».

Durant ces cinq journées à Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, des échanges riches et interdisciplinaires entre experts IAGF et parties prenantes locales ont permis de nous interroger sur des questions à la fois essentielles et universelles :

  • La modernité et son désenchantement, notamment pour les jeunes générations, avec la « double addiction » en Guyane aux trafics illicites et aux subventions. Quelques chiffres sont frappants : 22 % de la population est au chômage dont 46 % chez les jeunes de moins de 25 ans ; un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et 13 à 20 % de la population n’a pas accès à l’eau et à l’électricité.
  • L’identité dans un territoire riche de plus de 25 groupes ethniques et qui fonctionne avec de nombreux schémas importés.
  • La lutte contre les pollutions anthropiques qui impactent la santé des hommes.
  • Le déclin du multilatéralisme.
  • L’illégalité, avec la forte croissance des activités non contrôlées d’orpaillage, souvent situées en forêt profonde. 300 sites illégaux produiraient 10 tonnes d’or contre 3 à 4 tonnes par an pour la production officielle, et entraînent avec eux, les fléaux de la pollution au mercure des cours d’eau et les épidémies.

Bâtir un projet pour le fleuve 

Frédéric Bouteille, Erik Orsenna, Mirdad Kazanji / Crédit photo : Ronan Liétar

Lors de la restitution de nos travaux en préfecture de Cayenne, Erik Orsenna a défendu la conviction partagée par nos membres qu’un projet pour ce fleuve, actuellement sanctuarisé, fragilisé et morcelé, était nécessaire. Reprendre contact avec lui est un prérequis ; Hambourg, Seattle, Vancouver sont des exemples de villes qui ont réussi à retisser un lien de confiance et d’ambition avec leurs fleuves et leurs rivages. Charge ensuite aux acteurs politiques locaux d’imaginer ce projet afin de :

  • Accompagner la croissance démographique (Saint-Laurent du Maroni devrait compter 135 000 habitants en 2030 vs 45 000 aujourd’hui).
  • Lutter contre les nouvelles croyances dans des communautés fragilisées (avec une prégnance des phénomènes de suicides, maladies métaboliques et hystérie collective).
  • Donner des perspectives aux jeunes : à quoi sert d’augmenter l’espérance de vie si c’est pour offrir une vie sans espérance ?
  • S’affranchir des subventions qui ne vont pas durer éternellement.
  • Faire tout simplement évoluer une situation qui ne peut rester telle quelle.

Les conditions de réalisation

Crédit photo : Ronan Liétar

La première est d’ordre géographique : un projet de fleuve est un projet de bassin qui nécessite une coopération entre les deux rives, au service du bien-être des populations. Le fleuve Sénégal est, à cet égard, exemplaire avec une gouvernance réunissant les quatre pays qu’il traverse et une propriété commune des ouvrages. La mise en place de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) a été une solution de survie dictée par la rareté suite aux grandes sécheresses des années 1970. La Guyane est à l’inverse dans une situation d’abondance (ensoleillement, eau, bois, ressources halieutiques) mais qui nécessite d’être maîtrisée. La coopération doit également s’effectuer entre l’amont et l’aval, à l’instar de la Suisse et de la France pour le Rhône, dans une logique d’unité et de solidarité afin de gérer l’accumulation des pollutions, développer une navigation sécurisée, offrir l’accès à la prévention et aux soins à tous…

Le fleuve est un être vivant, il ne peut être découpé.

La seconde condition relève de la gouvernance : il faut savoir adapter les règles de la République ou de l’Europe à ce territoire particulier et associer les populations. Trop de décalage existe entre des normes supranationales et le terrain, entre la doctrine et les perceptions qu’ont les habitants de la consommation de l’eau ou de sa conservation. L’adaptation doit s’accompagner de l’expérimentation et de la réunification des actions de l’État : l’eau potable ne peut être dissociée de l’assainissement.

Enfin, une double décentralisation devrait être entreprise pour gérer au mieux les défis spécifiques à la Guyane et à ses fleuves : il s’agit de faire progresser l’autonomie de ce territoire par rapport à la métropole et des régions par rapport à Cayenne.

Face à l’urgence, le champ des possibles

L’urgence est là mais la Guyane a la grande chance d’offrir de nombreux possibles, avec une démarche d’expérimentation et de partenariat déjà très présente entre associations et organismes de recherche.

Une autre santé est envisageable, comme nous l’a montré le projet expérimental MALAKIT pour autodiagnostiquer et soigner le paludisme parmi les populations d’orpailleurs, accompagné de méthodes innovantes pour sensibiliser ces personnes et déployer le dispositif.

Un autre type de mine pourrait également émerger pour exploiter la richesse incomparable des minerais de la Guyane (étain, lithium, cobalt, or…) sans détruire l’environnement. Des mines propres existent en Finlande et en Norvège. Cela nécessite de développer des technologies stratégiques offrant de nouvelles capacités d’extraction et de transformation tout en respectant des contraintes environnementales satisfaisantes, avec un contrôle de l’État.

Une autre agriculture est aussi à inventer. Le sol guyanais est fragile, car riche naturellement en mercure. Toute intervention humaine doit être opérée en évitant le processus de transformation du mercure en méthymercure qui contamine les eaux et les poissons.

Pour conclure, Erik Orsenna a appelé à définir l’ambition que l’on souhaite se donner et les moyens que l’on est prêt à mettre en œuvre :

 les populations se disent du fleuve mais de quel fleuve s’agit-il ? D’un souvenir du fleuve ancien ou de l’ambition du fleuve futur ? Tout héritage est à construire. La rente est meurtrière .

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