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La financiarisation de l’eau : une réponse à la pénurie en Californie ?

Face à la pénurie d’eau en Californie, le Nasdaq et la Bourse de Chicago parient sur un instrument  financier pour améliorer la situation. Les deux institutions s’apprêtent à lancer d’ici la fin d’année des contrats à terme sur cette ressource vitale. Une première qui ne fait pas l’unanimité.

 

Une solution innovante pour une situation qui se détériore

En 2019, le Word Ressource Institute alertait sur l’augmentation du stress hydrique à travers le monde, avec près d’un quart de la population confrontée à un stress hydrique extrêmement élevé. La Californie est particulièrement touchée par ce phénomène. Sa population nombreuse, les caractéristiques de son climat et l’importance du secteur agricole la rendent particulièrement vulnérable à la raréfaction de la ressource en eau. La sécheresse de 2012-2015 a frappé les esprits et a abouti au Sustainable Groundwater Management Act en 2014, première étape d’une régulation des eaux souterraines qui fournissent 85 % des ressources en eau de l’État.

Face à la persistance des pénuries, le CME (Chicago Market Exchange) et le Nasdaq s’apprêtent à lancer des contrats à terme, qui font de l’eau un actif comme les autres, au même titre que des matières premières telles que le pétrole, le blé ou le cacao. Ces contrats fixent un prix aujourd’hui pour une transaction future.

Le prix est défini par le Nasdaq Veles California Water Index, créé en 2018 et basé sur les achats d’eau de la semaine précédente dans les cinq plus grosses réserves d’eau de l’État. Le prix est exprimé en dollar par acre-pieds, soit 1,2 million de litres. La valeur des transactions sur ce marché, pour le moment estimées à 1,1 milliard de dollars, devrait être plus lisible grâce à ces contrats. Les contrats seront réglés financièrement et n’impliqueront pas de livraison physique d’eau, ce qui signifie que les investisseurs ne pourront pas acheter à l’avance ni faire des réserves d’eau.

Cette innovation doit prémunir les gros consommateurs d’eau, communes et agriculteurs, contre la volatilité du marché. Au printemps, les cours de l’eau ont triplé à la suite d’une sécheresse importante au mois de février. L’intensification de la variabilité climatique a motivé le CME à développer des outils de gestion des risques liés à l’environnement tel que ces contrats. Carter Malloy, fondateur de AcreTrader, une plateforme pour investir dans l’agriculture affirme à Bloomberg que « le manque de visibilité sur les cours est le grand défi du moment ».

Cela devrait également permettre d’informer plus précisément sur la disponibilité en eau. Pour Tim McCourt, responsable des indices financiers au CME « le fait de disposer d’un marché à terme de l’eau, solide et transparent, va contribuer à aligner plus efficacement l’offre et la demande de cette ressource vitale ».

Pas d’unanimité

Néanmoins cette innovation n’est pas accueillie positivement par tous. Certains universitaires et investisseurs pointent l’inefficacité du dispositif et le problème éthique qu’il pose.

Le marché est extrêmement localisé et risque donc d’être restreint. Les droits sur l’eau qui sont actuellement échangés chaque année ne représentent que 4% de la consommation totale en Californie. Les investisseurs ne peuvent pas non plus envisager des échanges au-delà des frontières californiennes, compte-tenu de la nature de la ressource et des régulations spécifiques à chaque territoire. « La sécheresse dans une région a peu de chance d’influencer la disponibilité dans une autre » commente Aanand Venkatramanan, responsable des stratégies d’investissement des ETF chez Legal & General Investment Management.

Par conséquent, la couverture des risques serait plutôt mauvaise. Jon Reiter, fondateur de Calvarey, cabinet de conseil sur l’agriculture et l’eau, est en partie favorable à l’outil financier ; néanmoins il précise « les fermiers auront toujours besoin d’acheter l’eau au prix comptant pendant des sécheresses, puisque les contrats ne permettent pas de maîtriser complètement les volumes d’eau et délais de mise à disposition, en fonction des besoins ».

L’efficacité limitée de cette innovation fait dire à Mike Wade, directeur exécutif de l’ONG California Farm Water Coalition qu’il s’agit d’un outil d’investissement et non d’un outil de gestion comme pourrait l’être le marché du carbone européen. Le marché étant ouvert à d’autres acteurs que les usagers principaux, des investisseurs cherchant seulement à faire du profit peuvent participer aux enchères. Les organisations hostiles au dispositif craignent une déformation de la valeur de l’eau et une augmentation des prix pour tous les consommateurs.

Enfin, certains s’opposent au principe même de transformer l’eau en un produit financier quelconque. Jugeant que l’eau est notre ressource la plus fondamentale, ils considèrent qu’elle doit rester autant que possible en dehors des marchés financiers.

En Australie, l’eau est un produit financier depuis quelques années déjà. Dans les années 1980, a été adopté le Water Act qui attribue des quotas aux plus gros utilisateurs (villes, agriculteurs, industriels) et autorise la financiarisation de l’eau. Le PDG de Waterfind, première bourse de l’eau au monde, suggère que donner un prix l’eau peut-être une bonne chose : « en lui fixant un prix, on apprendra à mieux la respecter ». Néanmoins, la financiarisation de l’or bleu a provoqué des effets dévastateurs en Australie. Fruit d’une spéculation, l’eau est devenue un bien inaccessible pour certains agriculteurs, obligés de vendre leur ferme, car incapables de s’approvisionner en eau.

Pour en savoir plus, deux documentaires en français à visionner sur la chaîne ARTE :

Main basse sur l’eau

Californie : la guerre de l’eau

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