FR EN ES Recherche
  1. Accueil
  2. Actualités passées
  3. Au Maroc, la pénurie d’eau s’intensifie

Actualité

Toutes les actualités

Au Maroc, la pénurie d’eau s’intensifie

Le Maroc est en proie à une sécheresse structurelle qui impose de faire des choix dans la répartition de l’eau, entre villes et champs. Malgré les plans d’action successifs lancés par les pouvoirs publics, les tensions restent fortes et interrogent le modèle agricole actuel.

 

 

Décision difficile dans la région d’Agadir

Dans la région de Souss, au Sud du Maroc, les producteurs d’agrumes d’El Guerdane sont inquiets. Le gouvernement a annoncé début octobre la suspension de l’irrigation et la dérivation des eaux du barrage d’Aoulouz vers les foyers d’Agadir. La sécheresse qui sévit dans la région a conduit les autorités à faire un choix difficile, entre l’accès de la population à l’eau potable et le soutien aux cultures agricoles. Le stress hydrique est tel que cette mesure s’accompagne de coupures nocturnes, entre 22 h et 5 h du matin, pour les habitants.

Le barrage d’Aoulouz, infrastructure stratégique, a atteint moins de 20 % de taux de remplissage par rapport à sa capacité totale. Le barrage d’Abdelmounmen, qui est également une source d’eau importante pour Agadir et sa banlieue est, quant à lui, presque à sec. Avec seulement 1,2% de sa capacité de remplissage, il enregistre le plus bas niveau de tout le pays. Par conséquent, il n’a pas servi à l’irrigation depuis 2017. La situation est critique pour l’ensemble du Maroc : fin octobre, les volumes d’eau stockés dans l’ensemble des réservoirs ne constituaient que 37 % de la capacité totale.

Historiquement, nous n’avons jamais vu des niveaux d’eau si bas à l’échelle du bassin […] les données sont inquiétantes, déplore Abdelhamid Aslikh, à la tête de l’agence des réserves d’eau d’Agadir. 

Le secteur agricole désespère

Plus d’un million de personnes bénéficient des eaux dérivées par la décision des pouvoirs publics. Néanmoins, les producteurs ne comprennent pas pourquoi une autre solution, moins dévastatrice, n’a pas été trouvée. La saison des récoltes a à peine commencé dans cette région qui fournit près de la moitié de la production globale d’agrumes du pays. L’eau des puits, souvent salée, ne peut subvenir aux besoins des 60 agriculteurs d’El Guerdane. D’autant plus que la mesure s’ajoute à une intensification de la variabilité des pluies et à de longues périodes de sécheresse. Elle sonne le glas pour des dizaines de producteurs ayant investi depuis plusieurs années dans le secteur des agrumes.

L’impact de la situation climatique ne se limite pas aux agrumes; les récoltes de céréales de cette année représentent moins de la moitié de celles de 2019. Face à cette situation, les agriculteurs sont contraints de ne cultiver qu’une partie limitée de leur exploitation ou de changer d’activité.

Cette détérioration des conditions de culture pose d’autant plus problème que deux cinquièmes des emplois du pays sont dans le domaine agricole et que celui-ci représente 14 % du Produit Intérieur Brut.

Le gouvernement a annoncé que deux autres régions sont visées par des mesures similaires :  Marrakech et El Jadida.

Des plans publics successifs

La tension sur la ressource en eau n’est pas nouvelle au Maroc. Avec en moyenne 650 m3 d’eau par personne et par an, le pays est bien en dessous du seuil des 1 000 m3 fixé par l’ONU pour qualifier une situation de stress hydrique.

Le Conseil Économique et Social marocain sonnait déjà l’alerte il y a un peu plus d’un an dans un rapport accablant sur la situation hydrique du pays. Il soulignait notamment les risques pour la paix sociale que représentaient les tensions sur les ressources en eau. À l’image des manifestations contre les coupures d’eau répétitives à Zagora en 2017, qui ont conduit à l’arrestation de 23 personnes. Le rapport rappelait également que 80% de la ressource en eau potable est menacée de disparition d’ici 25 ans et dénonçait la surexploitation des nappes phréatiques, qui ne fait que s’intensifier.

Pour faire face à une telle situation, le gouvernement met en place des plans de lutte contre la pénurie, mais aussi des plans d’aide à l’agriculture. En 2008, le lancement d’une stratégie agricole ambitieuse surnommée le Plan Maroc Vert a eu pour but de booster la productivité et les revenus des petits exploitants. Le gouvernement affirme que ce plan a permis d’économiser 2 milliards de m3 d’eau d’irrigation.

En janvier dernier, il a annoncé la création d’un programme national prioritaire pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation. Avec un investissement de plus de 12 milliards de dollars, ce plan s’étale sur 7 ans et comporte 5 objectifs principaux qui impliquent la construction de barrages et d’usines de désalinisation. À Agadir, une usine d’une capacité de pompage de 400 000 m3 par jour est attendue pour avril 2021 et devrait permettre d’apaiser la situation en couvrant en partie les besoins pour l’irrigation.

La nécessité de repenser le modèle agricole

Néanmoins, les mesures du gouvernement sont critiquées. En septembre, l’Institut Marocain pour l’Analyse Politique (IMAP) a publié une note dénonçant les politiques de gestion actuelles et passées du gouvernement. Cette analyse rappelle que le problème de pénurie provient principalement du domaine agricole qui représente 80% de la consommation (contre 20% pour la demande des ménages et l’industrie). Elle montre que les plans d’urgence successifs des pouvoirs publics ne s’attaquent pas aux problèmes structurels liés à l’approvisionnement en eau.

Les rédacteurs de cette note considèrent que le pays a développé un modèle inégal de répartition des ressources hydriques, qui favorise les grosses exploitations orientées vers l’export – comme celle des agrumes – et pénalise les petits fermiers. Par ailleurs, la « politique des barrages » lancée officiellement en 1967, a permis la construction de 144 grands barrages et 255 réservoirs. Néanmoins, le rapport juge cette politique obsolète, face à une sécheresse devenue structurelle et un cycle des pluies altéré.

Il recommande notamment de s’orienter vers des politiques plus durables et plus inclusives mais aussi d’investir dans des cultures plus adaptées au climat semi-aride de la région

Mettez à jour votre navigateur pour consulter ce site